Le bug humain : pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher

de Sébastien BOHLER, Robert Laffont, 2019

Une lecture proposée par Julie DEMONTFAUCON

Le Bug Humain - Sébastien-BOHLER

Intéressée depuis longtemps par les questions environnementales, je m’interroge sur la faiblesse de mon action et des réponses collectives face à une catastrophe qui ne fait pas de doute pour moi.

Ce livre me livre un début de réponse : nous avons des freins…inscrits dans nos cerveaux. Comme moi, vous trouverez dans ce livre des éléments de réflexion passionnants et des leviers pour agir.

De plus en plus les discours alarmants des scientifiques sur l’urgence climatique et l’effondrement de la biodiversité infusent dans la société. Et pour cause, après les restrictions d’eau et les incendies de cet été, le vécu d’une situation de contraction de l’énergie (plus de diésel à la pompe!, le prix de l’électricité qui explose, une guerre à nos portes et c’est la fragilité de notre situation énergétique qui nous saute au visage) et cette fin octobre où l’on voit les enfants courir au parc en t-shirt, comment expliquer notre apparente apathie collective ?

Comment expliquer que malgré notre intelligence, nos formidables moyens technologiques, nos machines et nos modes de communications, nous sommes incapables de prendre conscience des enjeux et d’agir en conséquence.

Où est le bug ?
C’est en lisant ce passionnant ouvrage, très facile à lire et très documenté que j’ai pu entrevoir des réponses.

La Thèse centrale

Sébastien BOHLER, polytechnicien, docteur en neuroscience, rédacteur en chef du magazine « Cerveau et psycho », journaliste, écrivain, s’attache à nous démontrer en s’appuyant sur moult études scientifiques en neuroscience et psychologie sociale comment le fonctionnement de notre cerveau nous a amené dans l’impasse climatique, écologique, sociétale et psychique dans laquelle nous nous trouvons.

Au coeur de notre cerveau se niche une structure archaïque appelée striatum dont la fonction est d’optimiser nos chances de survie par un système de récompense sous forme de dopamine.
En effet, notre survie dépend de 5 grands renforceurs primaires sous-tendant nos motivations fondamentales : manger, se reproduire, asseoir du pouvoir (plus on est haut dans la hiérarchie de notre groupe, plus on a à manger et mieux on pourra transmettre nos gènes), acquérir de l’information (cette trace dans le sable de la savane paléolithique …proie ou prédateur ?), et fournir le moindre effort (pour garder de l’énergie en cas de pépin climatique ou de prise en chasse par un tigre à dents de sabre).

Pour la fortune de notre espèce à l’arrivée d’Homo Sapiens et l’infortune de tous les non humains et de nos enfants actuellement, notre cortex cérébral, siège de l’abstraction, de l’intelligence et de la planification, s’est mis au service du striatum.

Et c’est ainsi que notre génie technologique nous permet d’assouvir continuellement et exponentiellement ces cinq besoins fondamentaux. Toutes les techniques, les outils que nous inventons, de la roue au smartphone, sont au service d’un de nos cinq désirs impérieux.
Car ce duo infernal et éminemment efficient ne connait pas de frein : notre cerveau n’est pas programmé pour s’autolimiter. Et il est incapable de concevoir le temps long.

Il privilégie l’instant présent. La dopamine récompense principalement les satisfactions immédiates.

Ce qui n’était pas un problème mais un avantage évolutif au paléolithique devient une catastrophe dans un monde à l’offre débordante.

Et Sébastien Bohler d’évoquer la part du numérique dédiée à la pornographie (1/3 du trafic web mondial), l’obésité qui tuerait trois fois plus que la malnutrition, la compétition sociale pour obtenir puissance et privilèges, le rapport effort-bénéfice (la loi du moindre effort) qui grâce à la machinisation du travail et à l’acquisition d’un statut social artificiel permis par les réseaux sociaux conduit à devenir de plus en plus paresseux, l’« infobésité » (le besoin d’informations-distractions) qui nous pousse à scroller sans relâche sur nos smartphones.
A ce constat un chouïa déprimant, Sébastien Bohler ajoute que non seulement le striatum nous incite à atteindre ces objectifs mais à les dépasser sans cesse. Car il est un puissant outil d’apprentissage : une fois un comportement « validé » il devient prédictible et ne libère plus de dopamine. Il en faut plus. Nous comprenons mieux pourquoi nous ne pouvons sortir du dogme de la croissance. Nous sommes programmés pour optimiser, améliorer et croître. Outillés par la puissance technologique que nous avons développée, nous sommes devenus les esclaves de nos pulsions. Et celles-ci doivent être satisfaites immédiatement. Pour le cerveau, le présent fait loi, et dans un monde où l’on peut tout obtenir d’un simple clic, s’épanouit le règne de l’impatience.

Comment s’en libérer ?

Sébastien Bohler évoque plusieurs pistes dans son essai.
Une première piste est de prendre le striatum à son propre jeu en le rééduquant pour mobiliser les circuits de la récompense et du plaisir quand on agit de manière altruiste. En éduquant avec force enthousiasme et approbation, les attitudes que l’on souhaite voir acquérir par un enfant, son striatum réagit positivement et retient l’information. On nomme cela un conditionnement opérant. Il est donc possible d’apprendre au striatum à valoriser d’autres comportements que les renforceurs primaires.

Si les discours parentaux, scolaires, médiatiques et politiques se rejoignent pour accorder prestige et avantage social aux personnes respectueuses de l’environnement et des enjeux globaux, il serait possible de reconditionner nos schémas de pensée. Il est prouvé scientifiquement que l’on peut contrebalancer les objectifs primaires du striatum en favorisant par l’éducation les conduites vertueuses : le partage, l’altruisme et la modération.

Cependant, ce reconditionnement a ses limites. Les structures politiques et économiques de nos sociétés uniquement axées sur la croissance et l’hyperconsommation ne font que renforcer les injonctions primaires de notre striatum. Or nous voilà au bout du chemin, face à notre propre pouvoir de destruction de notre écosystème, à l’épuisement des ressources, à l’effondrement de la biodiversité.

Dès lors, comment accepter d’inverser nos valeurs, comment accepter une réduction de ces réflexes primaires qui nous ont conduit au bord du gouffre ? Comment accepter de voir notre liberté de faire « ce qu’on veut comme on veut quand on veut » se réduire dans un monde en contraction ?
Une autre piste exposée par Sébastien Bohler est de faire mieux avec moins.

Pour cela, il faut remettre de l’attention et de la conscience dans nos gestes quotidiens. Le siège de la conscience est le cortex préfrontal qui permet prendre du recul sur nos pulsions. En cela les techniques de méditation de pleine conscience sont extraordinairement efficaces pour stimuler le striatum et les circuits de la récompense et du plaisir. Prendre conscience de l’acte de manger, ressentir une saveur intensément active le striatum aussi intensément qu’une grande quantité de nourriture.

Ces techniques permettent d‘échapper aux conduites compulsives et ou addictives, de sortir de l’immédiateté et de retrouver une maîtrise de nos actes et de nos pensées sur le temps long.

Elles permettent d’amener notre conscience à la hauteur de notre intelligence.

Alors peut-être que notre société se fondera sur le développement du savoir, autre nourriture du striatum, et non plus sur l’assouvissement de nos pulsions inconscientes.